21 juin 1943, il y a 80 ans, arrestation de Jean Moulin et ses compagnons à Caluire, près de Lyon

La porte palière du 2 de la place Raspail s’ouvre, un homme qui y occupe une chambre sous le patronyme de Marchand en sort. Sans marquer d’arrêt ni d’hésitation, alors qu’il se sait traqué, ou pour cette raison, Max, tout nouveau chef politique à la tête de la Résistance française, part à son premier rendez-vous, avec Tony De Graaf, qui a pris la tête de son secrétariat pour la zone sud, depuis le départ de Daniel Cordier pour Paris.

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10 heures, la journée de Jean Moulin est chargée

Avec Tony De Graaf, vers 10 heures, il prépare la réunion de l’après-midi, laquelle sera fatale. Il fait beau, la ville est animée malgré l’Occupation. D’ailleurs, les uniformes grouillent.

Ensuite, il rencontre un des chefs du mouvement Combat, Henri Aubry. Comme Henri Frenay et d’autres dirigeants de la Résistance, ils ne sont pas d’accord avec le pilotage politique de celle-ci depuis Londres, pilotage représenté par Moulin, qui il n’y a pas un mois, le 27 mai, est devenu le 1er président du Conseil National de la Résistance, instance imaginée par De Gaulle pour le légitimer en tant que chef de la France Libre, face au général Giraud soutenu par les Américains. On le voit, l’unification de la Résistance est très fraîche, jusque là les mouvements étaient cloisonnés et combattaient sans coordination.

Statue de Jean Moulin devant la maison où il fut arrêté à Caluire avec ses compagnons le 21 juin 1943 — Photo Lyon Visite

Un moment crucial à Lyon pour l’organisation de la Résistance française

Il y a 12 jours, le général Delestraint, commandant l’Armée Secrète (A.S.) a été arrêté à Paris. En février, le chef lyonnais de cette même A.S. avait été arrêté. Le 15 juin, il y a 6 jours, Jean Moulin conclut sa dernière lettre à De Gaulle, par ces mots : « C’est l’A.S. qu’il faut sauver. Je vous en supplie, mon Général, faites ce que j’ai l’honneur de vous demander » C’est dans ce contexte très difficile qu’il faut situer cette journée du 21 juin.

Après cette rencontre avec Henri Aubry, Jean Moulin a un entretien avec Gaston Deferre

Pour se rendre à son dernier rendez-vous, il va prendre à Croix-Paquet, en bas des pentes de Croix-Rousse, l’un de ces funiculaires que les Lyonnais surnomment « ficelles ». L’autre extrémité de cette ficelle arrive à proximité du Gros Caillou, cet emblème du quartier. Jean Moulin prend en face le tramway 33 pour Caluire (ce tramway comme tous les autres de Lyon n’existent plus depuis longtemps, il a été supprimé en 1947).

Ce dernier changement en tant qu’homme libre est marqué par une plaque au croisement de la rue Vaucanson et du boulevard de Croix-Rousse.

Plaque Jean Moulin au terminus du funiculaire de Croix-Rousse vers Gros Caillou
Plaque mémorielle à l’emplacement du terminus du funiculaire en 1943, croisement rue Vaucanson et boulevard de la Croix-Rousse —Photo Lyon Visite

La réunion secrète de la Résistance autour de Jean Moulin ne l’était pas pour la Gestapo

La réunion où il se rend est normalement ultra-secrète, rassemblant le gratin de la Résistance pour désigner le nouveau patron de l’Armée Secrète, remplaçant le Général Delestraint. Mais la Gestapo est au courant, aujourd’hui encore on ne sait avec certitude qui a été le dénonciateur. On soupçonne l’un des participants à cette réunion, René Hardy, sans aucune preuve aujourd’hui encore. Hardy a été arrêté par les Allemands le 7 juin dans le train Lyon-Paris, à Chalon/Saône. Le 10 juin, Klaus Barbie chef de l’antenne régionale de la police de sureté allemande — le SD — « traite » Hardy et de façon inexpliquée encore aujourd’hui le relâche. Mais le 21 juin, Pierre de Bénouville, du comité directeur des Mouvements Unis de la Résistance (MUR), commet une incompréhensible erreur de sécurité en donnant l’ordre à Henri Aubry d’inviter René Hardy à la fatale réunion de l’après-midi. Apparemment, il aurait compté sur les qualités de débatteur de Hardy pour contrecarrer le poids politique de Jean Moulin dans la nomination du nouveau chef de l’Armée Secrète en replacement du général Delestraint arrêté et donner un poids prépondérant au mouvement Combat. René Hardy n’était pas d’accord pour participer à cette réunion, Henri Aubry a dû insister. Après l’arrestation de Jean Moulin et de ses camarades et après la guerre, René Hardy sera mis en cause à la Libération puis acquitté deux fois dans cette histoire. Mais la controverse quant à son rôle a continué jusqu’à aujourd’hui. Elle est attisée tant par les circonstances (des rapports internes de la Gestapo retrouvés plus tard comme quoi il aurait contribué à de nombreuses arrestations et un document produit par la DST), par les témoignages et les soutiens (Frenay, de Bénouville, Albert Camus) ou les accusations (Raymond Aubrac, Edmée Delétraz résistante infiltrée dans la Gestapo) d’acteurs importants de la Résistance, que par des dimensions politiques et des luttes d’influence entre communistes, radicaux, gaullistes et démocrates-chrétiens du MRP.

Laure Moulin, grande et discrète résistante

Laure Moulin, la sœur de Jean Moulin, elle-même résistante, est présidente du deuxième procès mettant en cause Hardy, où le 8 mai 1950 ce dernier est acquitté de justesse. Laure Moulin, femme courageuse et hardie elle aussi, qui s’était déjà portée volontaire comme infirmière durant la Première Guerre mondiale est de 1940 à juillet 1943, la secrétaire de son frère à Montpellier où elle continue à enseigner, la famille a une maison non loin. Il est la personne en qui il a le plus confiance, elle code et décode les messages secrets. Elle sera même à l’occasion son agente de liaison, assurant des missions. Elle publiera la biographie de son frère en 1969.

Midi, Jean Moulin déjeune

Jean Moulin déjeune avec un résistant mis à sa disposition comme adjoint, Claude Bouchinet-Serreulles, qui vient d’arriver de Londres. Puis il retrouve son secrétaire De Graaf et l’envoie conduire l’un des participants de la réunion secrète, membre du mouvement lyonnais « France d’abord » au Gros Caillou, au terminus du funiculaire, sans lui communiquer l’adresse finale.

13 h 30, À plusieurs cheveux près, l’arrestation aurait pu être évitée

Un autre membre de « France d’abord », le colonel Lacaze, va bientôt se diriger vers Caluire, où Bruno Larat le chef des parachutages de la Résistance l’a convié à cette réunion, et où il sera lui aussi arrêté. Des contacts de Lacaze l’ont prévenu : la Gestapo s’apprête à quelque chose de très important à Lyon contre la Résistance. Alors, hier, le colonel Lacaze a essayé de dissuader Larat du montage de cette réunion qui va regrouper presque une dizaine d’hommes. Et ce matin, il a envoyé sa fille Odile prévenir qu’il n’irait pas à ce rendez-vous. Mais il change d’avis, il y va… plus tôt, en avance d’une heure. Le rendez-vous est à 14 h 30. Sur place, les choses ont l’air normales.

Maison du docteur-Dugoujon à Caluire où ont été arrêté Jean Moulin et ses compagnons
Maison du docteur Dugoujon à Caluire où ont été arrêté Jean Moulin et ses compagnons – Photo 2015, Lyon Visite

Sur place, c’est la maison et le cabinet du docteur Frédéric Dugoujon, place Castellane à Caluire, aujourd’hui place Gouailhardou. Maison devenue en 2003 « Mémorial Jean Moulin » et dont nous vous conseillons très vivement la visite.

La domestique du docteur introduit les invités à la réunion à mesure de leur arrivée. Donc d’abord le colonel. Au 1er étage.

Ensuite André Lassagne, ami du docteur, enseignant d’italien au lycée du Parc où il prépare l’agrégation. C’est lui qui a proposé ce lieu de réunion. Il est accompagné de Henri Aubry qu’il est allé chercher au Gros Caillou, à l’arrivée de la ficelle… et où il a découvert l’invité non prévu René Hardy.

14 h 30, ils étaient filés

Les trois hommes sont introduits dans la maison par la domestique.

Ils ont été filés, sans évidemment le savoir. Par Edmée Delétraz. Elle est résistante, mais forcée après une arrestation de collaborer avec un agent de l’Abwher, service de renseignement de l’armée allemande, et avec la Gestapo. On lui a donné l’ordre de suivre Hardy, en l’informant que celui-ci était un prisonnier retourné, Hardy le niera toujours. Edmée Delétraz a informé le matin même la Résistance qu’une importante et proche réunion secrète était dans le viseur des Allemands. Mais ses interlocuteurs ne peuvent absolument pas intervenir, le principe du secret faisant qu’ils ne sont évidemment pas au courant de la réunion de Caluire et de ses participants.

Lacaze, Lassagne, Hardy et Aubry sont rejoints au 1er étage de la maison du docteur par Larat, qui arrive seul. Il manque encore trois hommes pour que commence la réunion. Mais elle ne commencera jamais.

15 h, l’arrestation

Jean Moulin, Raymond Aubrac et Émile Schwartzfeld arrivent par le tram 33, en retard. Raymond Aubrac est un des responsables du mouvement Libération. Émile Schwartzfeld, que Jean Moulin espère voir remplacer Delestraint, est le chef de « France d’abord ». La domestique ne les conduit pas au 1er étage, mais dans la salle d’attente du cabinet. Il y a d’autres patients dans la pièce qui attendent. Quelques minutes passent. Une quinzaine…

Deux « Traction », le modèle mythique de Citroën, tellement associé au maquis et à la Résistance, stoppent sur la place. Mais elles ne sont pas occupées par des résistants. Ce sont 7 8 Allemands, armés. Le docteur qui est en consultation les aperçoit depuis sa fenêtre. Ils foncent sur lui. Aucune échappatoire n’est possible, ni pour Moulin, Aubrac et Schwartzfeld dans la salle d’attente, ni pour Lacaze, Lassagne, Hardy, Aubry et Larat à l’étage, dans la pièce où devait avoir lieu la réunion.

C’est là qu’un Allemand apostrophe Aubry, tout en lui donnant des coups, il lui dit qu’il l’a vu sur la veille sur le pont Morand. Aubry aussi était filé. Les Allemands cognent violemment aussi Lassagne. Puis ils chargent tout le monde dans les Traction, ainsi que 2 patientes qui étaient là.

Mais, coup de théâtre : René Hardy se libère de ses entraves aux poignets et s’enfuit. Les Allemands lui tirent dessus, mais ils le ratent. À la surprise plus tard de la domestique du docteur, qui se souviendra combien les soldats étaient proches de Hardy quand ils lui tiraient dessus. Comment ont-ils pu le rater et le blesser seulement à un bras ?

Plus tard, Klaus Barbie dira que les menottes de Hardy étaient truquées… et que sa trahison a eu beaucoup d’importance pour le camp allemand. Cependant Hardy s’en défendra toujours.

Conséquences et causes de l’arrestation de Jean Moulin

L’arrestation de Jean Moulin, représentant de De Gaulle, ainsi des ses compagnons a eu des conséquences graves quant à l’organisation du combat contre les occupants, et plus encore à un très haut niveau politique alors que le Général de Gaulle essayait de s’imposer auprès des Alliés comme chef de la France libre. La lutte de pouvoir entre les différents partis et mouvements résistants pour l’unification et le contrôle de la Résistance en France va durer jusqu’à la fin de 1943. Peut-on considérer que Jean Moulin a été également victime — en plus de l’occupant — de ces dissensions ? Indirectement, il semble bien. Il avait été nommé pour y mettre fin, unifier, et avait une magnifique première réussite à son actif, la mise en place du Conseil National de la Résistance, le fameux CNR, dont on parle toujours aujourd’hui. Jean Moulin est conduit à la prison Montluc (dont nous vous conseillons très vivement la visite) avec ses camarades. Il sera torturé par Klaus Barbie à l’École de Santé militaire (où sont installés aujourd’hui le CHRD et Sciences Po. Il n’avoue rien. Il essaie de se suicider plusieurs fois, Klaus Barbie attribuera ses blessures à ses tentatives, niant qu’il s’agisse des tortures qu’il a pratiquées sur le chef de la Résistance, ceci malgré les preuves. Arrêté brièvement en 1940, Jean Moulin avait déjà fait une tentative en se tranchant le cou. Il est ensuite emmené à la Gestapo à Paris. Il serait officiellement décédé le 8 juillet 1943, à Metz, dans un train vers Berlin. Le 9, le corps d’un Français qui serait Jean Moulin est ramené à Paris, incinéré, ses cendres déposées au Père-Lachaise. Puis, en 1964, avec l’un des plus grands discours de l’histoire de France par André Malraux, au Panthéon.

Gilles Bertin, 18 juin 2023

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Nota : cette page, synthèse de différentes sources citées ci-dessous, tente de reconstituer au mieux la journée du 21 juin 1943 et ce qui a conduit à l’arrestation de Jean Moulin. Cette histoire, complexe, avec de grandes zones d’ombres aujourd’hui encore, peut comporter d’involontaires erreurs. Si c’était le cas, merci de nous les signaler.

Sources :

Historia, Les dessous de l’arrestation de Jean Moulin, 22 septembre 2017 : https://www.historia.fr/les-dessous-de-larrestation-de-moulin

Actualitté, 7 juillet 2021, à propos de la biographie que Thomas Rabino a consacrée à Laure Moulin aux éditions Perrin : https://actualitte.com/article/101267/chroniques/laure-moulin-soeur-courage

CHRD, Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation, Ville de Lyon, L’arrestation de Jean Moulin [consulté le 18 juin 2023] : http://minisites.gestion.lyon.fr/chrd/sections/fr/pages_fantomes/fiches_thematiques/?aIndex=12

Et différentes pages de Wikipédia.

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