L’enfance, la Résistance, deux éléments importants de l’histoire du romancier Pierre Péju, né à Lyon. La lectrice ou le lecteur découvrira dans Échappées, son dernier roman paru fin 2025, dans quelles circonstances.
L’histoire de Stella et Aimée, une enfant à sauver
Pierre Péju y raconte l’histoire d’une petite fille juive, cachée dans une malle en osier, découverte quand la malle va pour être stockée dans les locaux d’une société de déménagement en plein Lyon, dirigée par un patron fortement engagé dans la Résistance, qui édite un journal clandestin. Aimée, sa jeune secrétaire, tout juste formée à la sténo-dactylo, va contribuer au sauvetage de Stella, la gamine pourchassée, et s’attacher à elle. Tous vont traverser la guerre et l’après-guerre, dans une série de péripéties où le suspense prend au ventre et à l’âme.
Pierre Péju dresse des personnages forts, extrêmement attachants, vivants à la fois dans le réel violent, angoissant, sordide de cette époque terrifiante, tout en étant guidés chacune et chacun par les lumières individuelles de la résistance, du refus de l’oppression, et par la solidarité, la confiance. Le désir de protection d’Aimée, cristallisé par Stella, s’épanouit en amour maternel en même temps qu’elle entre en Résistance.
« Stella, dis-toi qu’elle est peut-être une étoile filante. Et tu sais comment on définit, dans les dictionnaires, une étoile filante ? J’ai appris ça il y a longtemps…
— Comment ? demande Aimée qui préférerait qu’il se taise.
— Écoute bien cette définition : “Petit corps extraterrestre qui traverse l’espace en laissant derrière lui une traînée lumineuse. Il peut se volatiliser, ou bien atteindre le sol en n’étant que partiellement détruit.” Pas mal, non ? »
Stella, violemment choquée par la perte de ses parents puis de sa famille d’adoption, se terre dès qu’elle le peut dans le moindre trou. On parlerait aujourd’hui de stress post-traumatique. Cette réaction, conjuguée à sa farouche volonté existentielle, va-t-elle paradoxalement lui sauver la vie ? On ne vous en dit pas plus, sauf que l’on tourne les pages avec avidité, pour suivre Stella à travers les yeux d’Aimée, jeune femme aimante, arrivant de la campagne en ville pour gagner son indépendance. La perdrait-elle si jamais elle devait se marier pour avoir des enfants ?
L’enfance, un grand thème de Pierre Péju
Cette enfance qu’il s’agit ici pour Aimée et son patron Charbonnier de sauver est un grand thème de Pierre Péju. Il a écrit Naissances, un recueil de nouvelles très sensibles sur le moment de la naissance, vu du côté des pères. Enfance obscure, essai où il s’interroge en philosophe qu’il est sur la notion d’enfantin. Et le roman à succès La Petite Chartreuse, prix du Livre Inter 2003, adapté aussitôt au cinéma par Jean-Pierre Denis, où Eva, une petite fille en fuite s’enferme dans le mutisme après un accident causé par un libraire itinérant. Car la librairie est une figure importante dans sa vie.
Les racines familiales et résistantes du roman
Pierre Péju, est en effet le fils de Raymond Péju et le neveu de Georges Péju qui animèrent La Proue, une des plus fameuses librairies de Lyon, créée juste après la guerre. La Proue, située rue Childebert, était à la fois une tanière à livres et un lieu avant-gardiste, organisant rencontres et expositions avec des figures comme Henri Michaux et Georges Perec, accueillant les noms de la littérature, de la poésie, défendant Roger Planchon et le Théâtre de la Cité, soutenant des écrivains lyonnais comme Jean Reverzy, Bernard Simeone.
Pierre Péju est aussi le petit-fils d’Élie Péju, compagnon de la Libération, cofondateur du mouvement Franc-Tireur. Il en reprend la figure dans le personnage de Charbonnier, le patron de Déménagement moderne, qui utilise la couverture de sa société pour ses activités de résistance. Avec l’aide de ses employés, il recueille les meubles et effets des juifs en fuite en sauvegardant les noms de leurs propriétaires, pour le futur, imprime et distribue des journaux clandestins, porte des messages, évacue des personnes à travers des filières clandestines. Une véritable figure de héros.
Lyon, personnage du roman
Échappées se déroule dans un Lyon figé par la peur et la Gestapo, entre Bellecour, Montluc, le camp de Vénissieux, la rue Sainte-Catherine, la rive gauche du Rhône, Villeurbanne. Aimée porte des messages ou des armes dans les sacoches de son vélo par les petites rues vers des magasins de fleurs ou des poubelles, Raymond, son trop jeune soupirant, emprunte même une traboule à moto, jusqu’à la Libération où la ville s’habille de bleu blanc rouge et de bonheur retrouvé.
Un Lyon souvent brumeux, voire gris, qui s’illumine d’échappées libératoires dans le Trièves, vers la Suisse, dans une maison au sud de Lyon, au bord du fleuve.
Un roman à (s’)offrir
Échappées est un très beau et très fort roman, éclairé par des figures de héros modestes, autour de l’enfance et de la guerre, de la Résistance à Lyon, servi par l’écriture sensible et simple de Pierre Péju. Offrez-le, offrez-vous-le.
Le mémorial Le Veilleur de pierre, place Bellecour
« Une fois, alors que je marche avec elle dans le centre de Lyon en lui donnant sagement la main, ma mère m’entraîne avec une certaine brusquerie et sans raison apparente vers un grand monument commémoratif devant lequel nous sommes déjà passés maintes fois sans qu’elle semble lui accorder d’importance. C’est la sculpture d’un très grand homme de pierre, entièrement nu, dressé à l’angle d’un bel immeuble. Il tient devant lui un bouclier orné d’une croix de Lorraine. Dans le renfoncement est fixée une plaque avec le nom d’otages abattus exactement à cet endroit. Nous voilà, ma mère et moi, immobiles au pied de ce géant qui déclare, sur un écriteau : Passant, va dire au monde qu’ils sont morts pour la liberté. »
Échappées, Pierre Péju, 2025, éd. Gallimard

Échappées, Pierre Péju, éd. Gallimard, oct 2025
ISBN9782073121295
288 pages, 21€ en papier, 14,99€ en numérique



