Le street-art à emporter de Jalb38

Jalb38 scotche des grafs détachables sur les murs des pentes de Croix-Rousse. Autrement dit, toi le passant tu peux repartir dans ton F5 ou ton studio avec l’une de ses œuvres. Sa démarche court-circuite le circuit habituel de l’Art davantage encore que le street-art himself.

Jalb38 scotche des grafs détachables sur les murs des pentes de Croix-Rousse. Autrement dit, toi le passant tu peux repartir dans ton F5 ou ton studio avec l’une de ses œuvres. Jalb est un street-artiste atypique, un rural qui pratique plutôt un « Campagn’art ». Sa démarche court-circuite le circuit habituel de l’ « Art » davantage encore que le street-art himself.

Son baptême street-art, Jérôme Albertin, artiste, prof et frais quinqua, l’a reçu banette à la main, sortant de sa boulangerie, le 15 août 2018. Sur le mur d’en face, lunettes sur la tête, un portrait au pochoir de Walter White, le méchant de Breaking Bad. Le choc, le bouleversement lui tombent dessus. En trois secondes, il saute du cheval de trait du dessin classique sur le bronco du street. « Voilà quelqu’un qui se fait pas chier, se dit-il sobrement alors à propos de l’auteur du pochoir. Plutôt que d’attendre la possibilité hypothétique d’exposer, il le fait. » La frustration du long temps entre les expos, Jérôme Albertin connaît bien, surtout dans sa campagne avec une seule galerie où il doit tout de même espacer ses apparitions.

Portrait au pochoir der Jalb38

Bob Marley, le premier portrait au pochoir de Jalb en 2018 écoulé à plusieurs dizaines d’exemplaires autour de Crémieu.

Jalb a repris son Bob Marley à de nombreuses occasions, y compris à l’acrylique.

Il rentre comme un fou chez lui avec l’irrépressible désir de faire pareil. Ce sera le portrait de Bob Marley. Il taille son premier pochoir. Il a fait refaire son carrelage voici peu et il a plein de morceaux de cartons 40 par 40 idéaux pour mener ses essais et valider sa première créa. Mais le prof et le quinqua au moment d’aller bomber in the street, auf der Straße, on the wall, dans la rue, se rebellent contre l’artiste.

« J’ai 52 ans passés, je me retrouve con. Et puis, ce n’est pas mon truc de dégrader. »

C’est là qu’intervient son épouse, étonnée depuis son retour de la boulangerie de le voir dans cette folie soudaine et inhabituelle, qui lui suggère d’exposer ses cartons d’essais.

Deuxième bouleversement pour Jalb !

Jusque là, il faisait du portrait au pastel gras ou sec, au crayon de couleur, et, quand il avait assez d’œuvres il faisait une expo, où, en échange d’un don à une association malgache dont il fixait le montant à ses œuvres, il donnait ses œuvres. Et voici que cette technique du carton apposé au scotch épargne dans les endroits les plus passagers de Crémieux et des environs lui permet de tout court-circuiter entre lui et ses spectateurs. C’est le scotch qui fait la différence parce qu’il se décolle « Il y a interaction : 1/ quelqu’un passe et voit mon œuvre 2/si ca l’intéresse beaucoup, il l’arrache et 3/ il peut la réutiliser chez lui… certains la recollent ailleurs, je l’ai déjà vu.» 60 cartons de Bob Marley partent aussitôt, du jamais vu pour Jalb qui n’avait jamais envisagé possible de toucher autant de monde avec son travail. « Avec le pochoir, t’as qu’à te servir, j’ai l’avantage de la reproductibilité. »

Détournement publicitaire de Jalb38. Les scotchs de fixation sont nettement visibles sur cette photo. Le support est du simple papier peint.

Sa démarche est pratiquée aussi par l’artiste parisien Alex Tréma. Dans les villes où il passe, il a commencé à New-York, il dépose 24 pièces de l’une de ses œuvres enfermées dans une pochette calque où il écrit « Take me » qu’il scotche dans les rues et les lieux publics. Seule « obligation » pour les passants qui les récupère, envoyer une photo, un poème, autre chose à Alex Tréma sur l’œuvre mise en scène dans son nouveau contexte. Comme le dit Charlélie Couture qui a offert un de ses dessins à Alex Tréma pour l’un de ses « Take me » :

L’idée étant de rompre le schéma de consommation de l’ART, comme une denrée abstraite, mais plutôt de considérer celui-ci comme un moyen de créer un lien entre les êtres.

Charlélie Couture

Hommage à Simone Veil sur l’abri bus du lotissement du château à Villemoirieu, près de chez Jalb : « Une femme déportée qui a servi son pays, l’Europe et le droit des femmes françaises ! Merci, c’est bien le minimum que l’on puisse lui dire même post mortem. »

La vie artistique de Jalb bascule. Sa vie dans le 3-8 aussi avec les autorités iséroises. Les gendarmes venus acheter leur pain dans la même boulangerie le pincent alors qu’il scotche en face. Un vrai paradoxe dans cette ville zone historique, donc sans pub. Il se contraint à ne plus utiliser que les panneaux libres. Il négocie avec les maires de Crémieux et de son village pour utiliser d’autres espaces libres. Comme les abris-bus.

Les politiques flippent quand il peint Simone Weil en réaction aux tags antisémites sur les portraits de celle-ci à Paris, par le street-artiste C215. En fait, ils ont peur des dégradations. « Au début du vingtième siècle, les murs étaient un mode d’expression majeur. D’ailleurs, l’État utilisait les murs pour sa propagande, entre autre anti-juif. Ça a disparu après la deuxième guerre, quand on a voulu faire du lisse. Mais c’est revenu, on n’a pas pu le contenir, c’est un juste rappel des origines. »

Jalb, rouleau de scotch épargne à la main, à l’un des principaux lieux d’affichage des pentes, au croisement rue Burdeau et montée de la Grande-Côte : « J’affiche en plein jour. Je dis aux gens qu’ils peuvent se servir. Je discute avec eux. »

Jalb franchit le boulevard Laurent Bonnevay quelques mois plus tard pour se lancer à l’assaut des pentes de Croix-Rousse, l’eldorado rhônalpin du street-art. Il se sent timide alors, complexé face aux signatures lyonnaises prestigieuses. Mais il font connaissance. Sa démarche détonne. Lui affiche à vue, en plein jour, discute avec les passants.

Mais, relativise Jalb, « Je suis un artiste de pacotille. J’ai une situation confortable, je fais de l’élaboré. » Il veut disant cela parler de sa démarche d’artiste réalisant l’essentiel de son travail en atelier. Il lui est arrivé de créer une Frida Kahlo façon Vermeer, avec 15 couleurs, une gageure par rapport aux pochoiristes qui bombent dans la rue.

Frida Kahlo en jeune fille à la perle par Jalb 38

15 couleurs différentes pur ce Frida Kahlo en jeune fille à la perle, un pochoir sophistiqué de Jalb38.

Puis il découvre Instagram en 2019. Ce qui lui permet de contempler ses œuvres accrochées chez les gens, qui lui en envoient des photos dans leur appartement.

Depuis le 15 août 2018, son circuit artistique s’est considérablement raccourci, comme un maraîcher rejoignant une AMAP, du producteur au consommateur, du champ à la cuisine. Il n’était pas du tout préparé à ça, il n’a aucune formation artistique. Initialement, il a appris le dessin technique industriel au Rötring, à l’encre du Chine et à la mine 5H, ce qui lui a appris la rigueur. Il a fait de l’art en marge de sa carrière de prof, du dessin et des expos, jusqu’à tourner en rond, jusqu’à cette Assomption du 15 août, quand les portes automatiques de sa boulangerie se sont ouvertes sur un nouveau monde. Et c’est un avantage artistique, il débarque novice dans ce milieu à forte culture. Sa toute première influence lyonnaise sera le pochoiriste @by_dav_ l’auteur des gélules de Prozac moulées en plâtre sur les murs sous-titrées du slogan ironique « Are you ready to be happy ». La démarche de Jalb est-elle aussi marquée par la politique, « citoyenne », revendique-t-il, « C’est un exutoire, c’est ce qui me motive le plus. »

Jalb38

Jalb détourne des pubs, comme ce Just Eat qui l’a scandalisé. Surtout, son goût ancien du portrait se manifeste pleinement dans les figures écologistes et humanistes qu’il appose, juxtapose, transpose en planches épurées, en galeries mondialistes, en manifestes.

Gretha Thunberg par Jalb38

Sa simplicité apparente frappe souvent à l’essence et c’est elle qu’on emporte avec l’une de ses affiches pour la recoller chez soi, comme ce pur Gretha Thunberg ou ce Mandela dont chaque ride est un sillon, un fleuve, un rire, ou encore cette pochette de Number of the beast d’Iron Maiden.

Évocation par Jalb38 de selon ses mots « l’une des meilleures pochette de 33t des années 80 : Number of the beast de Iron Maiden illustré par Derek Riggs« 

Dix-huit mois après sa conversion, Jalb est un artiste heureux. Et pas que. « J’ai complètement changé de vie. Pas seulement artistiquement. En terme d’élan. J’ai tout un territoire à explorer. » Il travaillait lorsque je l’ai interviewé sur un pochoir à partir d’un extrait d’une photo d’ours du célèbre photographe animalier Paul Nicklen, que depuis il a fini pour le bonheur de ceux qui l’emporteront chez eux.

Depuis janvier 2020, écriture de ce portrait de lui, @Jalb38 a poursuivi l’affichage de son abondante œuvre sur les murs de Lyon, entre autres, parfois en réaction immédiate à l’actualité, comme cet hommage à Robert Badinter paru le 15 février 2024 rue des Pierres Plantées, moins d’une semaine après la mort de l’ancien ministre de la justice de François Mitterrand, auteur de la loi d’abolition de la peine de mort, décédé le 9 février, 81 ans exactement après la rafle de la rue Sainte-Catherine à Lyon, le 9 février 1943, où fut déporté Simon Badinter, son père, déporté et assassiné au Centre d’extermination de Sobibór. Jalb aime rendre hommage aux belles figures humaines.

Gilles Bertin

Jalb38, pochoir à partir d’un extrait d’une photo de Paul Nicklen, pochoir qui est un aussi un hommage au street-artiste C215, engagé et doué pour représenter les bêtes à poils.


Photos : Toutes les photos de cette page sont de Jalb38, avec son autorisation, y compris la photo en haut de page de l’une de ses œuvres de mise en abyme.

Le monde de Steve McCurry, une grande expo d’un grand photographe à la Sucrière à Confluence

Qui n’a jamais vu cette photo emblématique de la guerre en Afghanistan ? Une des photos célèbres du 20ième siècle. Steve Mc Curry l’a prise dans les années 80 dans la camp de réfugiés de Peshawar, au Pakistan. Dans le regard de ces yeux, cette interrogation au monde.

Sharbat Gula, Afghan Girl. Peshawar, Pakistan, 1984. By McCurry – DR
Sharbat Gula, Afghan Girl. Peshawar, Pakistan, 1984. By McCurry – DR

Steve Mc Curry a beaucoup photographié l’Afghanistan. L’expo commence par une série de tirages en noir et blanc des années 79-80. Portraits de moudjahidines en armes au début de ce conflit. Le reste de cette expo offre 200 tirages couleurs de photos prises en Inde, aux USA, en Ethiopie, Chine, Koweit, Sri Lanka, durant 35 ans de carrière. On est subjugué par les regards, l’une des constantes du travail de Mc Curry. Par ses cadrages. Par certaines photos encore plus magiques telle ce cheval devant deux colonnes de pierre au-dessus d’un lac ou ces pêcheurs accrochés sur des perches ou ce piroguier qui pagaie une rame à sa jambe.

Portraits d’enfants, de vieillards, de femmes, d’hommes, portraits de guerre, portraits poétiques, toujours des portraits, avec derrière chacun d’eux une histoire, l’ensemble de ces clichés constituant un portrait de la grande histoire de ces années à cheval sur les deux siècles. Steve Mc Curry est passionné par l’humain et les cultures du monde, c’est ce qu’il nous donne dans cette expo si dense que l’on en ressort saturé de sensations, on ne pourrait en voir plus.

Un conseil, prenez l’audioguide, il est bien fichu même s’il ne couvre pas tout. Steve Mc Curry y raconte l’histoire de la prise de beaucoup de ses clichés.

Un autre conseil, venez tôt si vous choisissez le week-end. Il y a des queues extraordinaires.

Enfin, Lyon sera la seule ville française ou se tiendra cette exposition.

S’il fait beau, profitez en pour une balade avec notre parcours de visite de Confluence.

Queue à l'entrée de la Sucrière le 2ième dimanche de l'expo
Queue à l’entrée de la Sucrière le 2ième dimanche de l’expo

Le monde de Steve McCurry — du mercredi 6 février au dimanche 19 mai

La Sucrière, 49-50 quai Rambaud, Lyon 2ième

Fermée les lundis. De 10h à 18h sauf le week-end de 10h à 19h.

Tarif : 13€ adultes et 8€ pour enfants et étudiants.

Sandrillon, pudique photographe de Lyon

Chez Sandrillon, c’était compliqué pour se laver. Un rai rouge sous la porte de la salle d’eau barrait l’entrée. Des odeurs vinaigrées de révélateur et de fixateur fuitaient dans l’appartement. Ilford, Fuji, Kodak. Ses parents s’y livraient à d’obscurs travaux inactiniques. Trente ans plus tard, ils ignorent que leur fille est la tenancière d’un des meilleurs blogs photo sur Lyon. Elle n’a pas éprouvé le besoin de leur dire. Pas encore. Même le jour où ils ont feuilleté chez elle un livre tiré de ce blog. Sandrillon ne veut pas être reconnue pour elle, mais que ses travaux le soient. Telle est sa quête.

Sandrillon, selfie dans un ascenseur de la Part-Dieu
Sandrillon par Sandrillon, dans un ascenseur de la Part-Dieu

« Il n’y a rien de faux dans mes photos », dit-elle touillant ses longs cheveux châtain clair, ses yeux dans le ciel de Bellecour, cherchant à être au plus près de ce qu’elle veut dire. « S’il y a un fil électrique dans le paysage, je le laisse, ou je m’arrange pour cadrer autrement. Je cherche ce que les gens pourraient voir. Ce que je reproche aux photographes sur le web, c’est leurs photos ultra photoshopées. » Sous sa crinière lionnesque, dans ses yeux frères Lumière, Sandrillon est d’une exigence de luthière. Elle n’est pas une grande technicienne, ce qui l’intéresse sur le terrain est le sujet, lequel est aussi imprévisible que le vent.

Basilique de Fourvière et Tribunal depuis la Saône, sous la passerelle du Palais de justice — Photo Sandrillon
Basilique de Fourvière et ancien Palais de justice depuis la Saône, sous la passerelle du Palais de justice — Photo Sandrillon

Un jour, dépitée d’un reportage à Croix-Rousse qui n’a rien donné, frustrée, alors qu’elle récupère sa voiture devant l’immeuble aux 365 fenêtres qu’elle rêve de photographier, un habitant l’y fait entrer et elle tombe amoureuse de l’escalier, ce sera son sujet. Idem de l’escalier de la petite rue des Feuillants. Une autre fois, ce sont les dessous des ponts sur le Rhône, un kaléidoscope de dessous de tabliers dans la ville des chefs cuistots.

Adolescente, elle a appris l’argentique, mais s’en est détournée lorsqu’elle a découvert la vidéo, « C’était plus rigolo quand l’image bougeait. » Elle est pro là-dedans mais ne m’en dit pas davantage, à son emploi non plus on ne sait pas qu’elle édite un super blog. Quand l’une de ses collègues tombe sur un autoportrait que pour une fois elle avait publié, celle là s’étonne, « Sandrine, c’est toi Sandrillon ! J’ai lu plein d’articles sur ton blog, j’aurais jamais imaginé que c’était toi. » 

L’escalier des Feuillants, 5 petite rue des Feuillants — Photo Sandrillon

Ses sujets, le grenier d’abondance, le mythique garage Citroën, l’immeuble canut Clos Perrin, l’orgue de l’Auditorium, le jardin Rosa Mir, la plus petite maison de Lyon rue Étienne Jayet, la brasserie Ninkasi, le musée de l’École dentaire, le domaine Belle Rive en face de Confluence, la nécropole de la Doua, la statue de « l’homme qui porte à Saint-Priest », la montée du Télégraphe qui longe l’Odéon avec sa vue sur les thermes romains, le bateau chapelle des mariniers, les murs peints, la Manufacture des Tabacs, la tour du crayon de Part-Dieu, des dizaines d’expositions, dont le carnaval des animaux de la Biennale des Lions. Son reportage le plus populaire est la rivière Valserine, à l’est de Lyon, dans « une atmosphère digne des forêts druidiques et chamaniques », écrit-elle.

La Vaserine — Photo Sandrillon

Longtemps, Sandrine s’est tenue loin de la photo, déçue par les premières générations d’appareils photo numérique, loin du rendu argentique. Mais survient un déclencheur. Le concours du cimetière de Loyasse qui fêtait ses cent ans. Tôt un matin, elle va se balader entre les tombes, avec un compact à trois francs six sous. Sa photo est sélectionnée. Les organisateurs la lui réclament en grand, pour les panneaux municipaux. Mais elle n’a qu’un fichier de qualité limitée, il faudrait refaire la photo avec un meilleur appareil. Elle se retire du concours. Ils insistent, ils ont un logiciel qui sait agrandir les images sans les détruire. Le résultat lui plaît, sa confiance revient.

Elle se remet à la photo. En dehors de son job. Elle crée ce blog, « Sandrillon in Lyon ». Au nom explicite, elle parler de son terrain de jeu photographique. Se paie des appareils. Un gros, un moyen, un petit toujours avec elle. Sans encore le savoir, elle vient d’entrer en addiction. Ce blog se met à jalonner sa vie, une auto-obligation de publier alors qu’elle n’en retire aucune reconnaissance majeure. Parfois Sandrillon se demande pourquoi tout ça. Quel sens ? Chaque billet est un gros travail. Reportage, éditing, rédaction. Fait-elle de la photo pour ce blog, ou ce blog pour faire de la photo ? La réponse est peut-être en forme de lieu secret.

Projet « Confidences », un des 38 lieux secrets — Photo Sandrillon

« Accepteriez-vous de me faire découvrir votre lieu secret dans Lyon ? » demande-t-elle un jour à tous ses amis. Trente-huit acceptent. La règle : qu’ils ne lui en disent rien avant. Chacun lui donnera un rendez-vous en un point neutre et l’y emmènera, elle n’en saura pas plus et la localisation du lieu ne sera pas révélée dans son reportage. Ce projet lui prend six mois. Ce seront trente-huit découvertes. Un ancien hôtel du XIXème qui tombe en ruine, en plein centre ville. Des endroits retirés, certains abandonnés. Ou au contraire très connus, au théâtre romain de Fourvière, au parc de la Tête d’Or. Trente-huit portraits et récits de leur rencontre avec Sandrillon. Elle appelle ce projet « Confidences ».

Sandrillon en son lieu secret — Photo Florence

Son lieu secret, où elle se fait à son tour photographier par une amie devant une fresque street-art, elle vous le révèle maintenant, est en haut de l’étroite rue Joséphin Soulary, sur l’abrupt flanc de Croix-Rousse en surplomb du Rhône. Mais quand elle va mal, c’est ailleurs encore qu’elle cherche du beau, « J’adore Fourvière, son côté imposant. Elle surgit, ça me prend. » C’est sans doute pour cela qu’elle n’a pas vraiment encore réussi à photographier cette partie de Lyon comme elle le voudrait. Mais Sandrillon attend, elle a rendez-vous avec la photo, comme un destin.

Gilles Bertin


Le blog Sandrillon in Lyon : http://sandrillon-in-lyon.fr/

Toutes les photos de ce portrait sont de Sandrillon, excepté la dernière, qui est de son amie Florence. Elles sont donc leur propriété et leur utilisation est soumise à leur autorisation via le formulaire de contact de Sandrillon in Lyon.

Bruno Verrier, photographe, « se perdre dans Lyon »

Bruno Verrier n’est plus coursier depuis des années mais sillonne toujours Lyon, à cheval sur son appareil photo, de Guillotière à Bellecour à Perrache au Vieux Lyon. Il est classique. Cartier-Bresson, Doisneau. Jusqu’à peu, il ne retouchait pas. Il n’aime pas ceux qui maquillent Lyon.

Quatre heures du matin.

Bruno Verrier se réveille sur son canapé.

Comme presque chaque nuit.

On est le 18 décembre, à deux doigts de l’hiver officiel. Sur les pentes, presque en haut. Rue du Bon Pasteur. Ici les rues sont des passages ou des montées. Montée de Vauzelles. Du lieutenant Allouche. Des Carmélites. Rue de l’Alma. De la Tourette. Des Chartreux. Deviennent souvent des escaliers. Pas de plan d’urbanisme. Ça sent la pisse de chat dans les cours. Les immeubles sont de guingois. Tout penche.

En face de la fenêtre de Bruno, il y a un arbre. Le seul du quartier. Un seul. Mais il est beau. Bruno Verrier le photographie depuis dix ans. Il fleurit trois jours chaque printemps. Cette nuit, il a refleuri. De flocons !

Photo de Bruno Verrier

Il neige.

Bruno attrape son appareil. Toujours à portée de sa main. Comme un pistolero son Colt. La photo, c’est son shoot, depuis ses quatorze ans, quand il a eu son premier Reflex.

Il neige sur les pentes. Sur la Croix-Rousse. Sur Lyon. Il neige dans la nuit.

Bruno Verrier va à sa fenêtre.

Le viseur de son appareil et sa fenêtre sont les deux endroits où Bruno passent beaucoup de temps à scruter, observer, écouter. Sa fenêtre est sur un des circuits touristiques de la Croix-Rousse. Il aiguille souvent les gens. Un aiguillon pertinent. Il pourrait être guide. Il a fait histoire à la fac Lyon 2, l’université des tendres. Il a déjà derrière lui « toute une vie bien ratée », comme l’a merveilleusement écrit un écrivain amoureux des bistroquets du coin, Pierre Autin-Grenier. Bruno a échoué plusieurs fois au concours d’instit’. Alors, il est devenu coursier. Une chance ! Pour lui et pour nous. En sillonnant la métropole, la métrogaules, la métrogônes, Bruno Verrier sans le savoir commençait ses repérages photographiques de Lyon.

Portrait de Bruno Verrier par Cibert
Portrait de Bruno Verrier à l’Opéra de Lyon par Cibert — DR Cibert

Il neige dans son viseur. On dirait un tableau d’Utrillo s’il n’y avait pas les voitures. C’est ce que lui dira quelqu’un sur Facebook de la photo qu’il est en train de composer dans sa tête. Il y a des traces de pas sur le trottoir. Quelqu’un est passé. Seul. Une femme ou un homme. Une fenêtre est allumée. Timide. Toute seule, elle aussi. Est-ce celle de ces pas ? Ils sont deux réveillés avec cette neige.

Bruno jubile !

Il va être le premier sur Facebook !

Les gens vont se réveiller, encore dans leur lit ils vont regarder leur téléphone, et c’est cette photo qu’il prend qu’ils vont voir. Direct de son œil dans leurs yeux.

C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés, Bruno et moi.

Par cette photo.

Je l’ai vue sur mon Facebook vers six ou sept heures du matin. J’en suis tombé amoureux. Comme un dingue ! Une photo intemporelle. L’ambiance du tableau La pie de Claude Monet et de Fargo quand Steve Buschemi ensevelit la valise de fric dans la neige. L’ambiance du chocolat au lait de ma propre enfance. L’ambiance des films noirs dans le Paris des années 50. Paris où je suis justement quand je découvre cette photo. Dans un studio, sous les toits du Marais. Aussitôt, je partage cette photo sur la page facebook de Lyon Visite.

Elle cartonne !

Photo de Bruno Verrier

Puis, chance, mais il ne le sait pas encore, Bruno Verrier est licencié de son job de coursier. Avec sa prime, il part à Lisbonne chez un ami qui lui a dit « Lisbonne, c’est comme la Croix-Rousse, mais avec la mer. » Ils se disputent et vont cohabiter dans une ambiance sinistre. Bruno sillonne la ville, seul. Une semaine de photos. Il voit que ce qu’il fait est bien. Il ne m’en dit pas plus durant l’interview mais il s’est passé autre chose à Lisbonne : il s’est senti bien à photographier. Il était au chômage et il était bien. Ça l’a pas quitté depuis, ce bonheur.

Photo de Bruno Verrier
Valery June aux Nuits de Fourvière, photo de Bruno Verrier

Et il commence à en vivre, pas complètement, mais il gagne de l’argent avec ses photos. En rentrant à Lyon, la patronne du Bal des fringuants, une salle de musique qu’il fréquente, tombe amoureuse de ses photos. Lui commande des travaux photographiques pour faire la promo de sa salle. Puis l’expose en septembre 2017. Bruno Verrier est lancé.

« J’ai loupé beaucoup de choses dans ma vie, me dit-il à la table du Paddy’s où je l’interwieve, mais je vais pas lâcher la photo ! »

Bruno Verrier est un homme discret comme son appareil, un Fuji hybride X-T1 qui ne paie pas de mine, qui lui permet de photographier inostentiblement. Un homme discret mais très liant, comme avec ces musiciens qu’il shoote, comme avec cette femme cheveux gris survet pinkie qu’il a photographiée dans différents quartiers de la ville.

Photo de Bruno Verrier - Femme en rose lisant sur un banc

Bruno n’est plus coursier mais sillonne toujours Lyon, à cheval sur son appareil photo, de Guillotière à Bellecour à Perrache au Vieux Lyon. Il est classique. Cartier-Bresson, Doisneau. Jusqu’à peu, il ne retouchait pas. Il n’aime pas me dit-il ceux qui maquillent Lyon comme une pute. Il s’est mis sérieusement à Lightroom — le Photoshop des photographes — depuis qu’il travaille avec le studio Du pixel au point, créé par un ancien des Gobelins, et qu’il devient pro, même s’il a encore du mal avec ce mot.

— Que penses-tu de Lyon du point de vue photographe ?

— Lyon est un incroyable sujet, me répond-il. Il y a des centaines de spots.

Photo de Bruno Verrier

Nous commandons une nouvelle pinte.

Photo de Bruno Verrier
Photos de Confluence par Bruno Verrier

Mais pour Bruno, la photo est surtout un état d’esprit. Et des rencontres. Part-Dieu est photogénique avec ses vestiges des années 80. La lumière de la golden hour sur les quais de Saône, des pentes de la place Bellevue à l’esplanade de la grande côte à la place Rouville. Des amoureux qui s’embrassent sur un banc du jardin des plantes. À ceux qui veulent découvrir Lyon, il donne ce conseil : se perdre. Et dans les pentes de la Croix-Rousse, ce quartier assez unique, on est foncièrement perdu.

Perdez-vous-y à votre tour. Peut-être bien que vous le rencontrerez. Il a toujours passé beaucoup de temps à sa fenêtre, ou à lever le nez dans les passages et les montées, à scruter.

Photo de Bruno Verrier

Une dernière photo de sa patte pour terminer son portrait, qu’il a dérobée dans l’une des nombreuses fontaines de Lyon.

Bruno Verrier sait prendre l’instant, il est photographe.

Gilles Bertin


Toutes les photos sont de Bruno Verrier, merci à lui.

D’autres travaux de lui sur son site de photographe professionnel :
https://www.bruno-verrier-lyon-photographe.com/

Enthousiasmante exposition Ernest Pignon-Ernest et Bruno Paccard

Ernest Pignon-Ernest et Bruno Paccard à la galerie Pallade sur les pentes à Lyon. Une absolument passionnante exposition présentant des dessins et photographies de Ernest Pignon-Ernest et Bruno Paccard portant sur la prison Saint-Paul de Lyon avant sa démolition a lieu à la Galerie Anne-Marie et Roland Pallade, rue Burdeau, sur les Pentes de la Croix-Rousse, du 10 décembre au 23 janvier.

Une absolument passionnante exposition est annoncée à la Galerie Anne-Marie et Roland Pallade, rue Burdeau, sur les Pentes de la Croix-Rousse, du 10 décembre au 23 janvier. Elle présentera des dessins et photographies de Ernest Pignon-Ernest et Bruno Paccard portant sur la prison Saint-Paul de Lyon avant sa démolition.

Les deux artistes seront présents au vernissage le 10 décembre de 18h à 20h30.

unnamedCours de la prison, Ernest Pignon-Ernest, 2012

Ernest Pignon-Ernest qui avait animé des ateliers peinture à la demande des prisonniers de Saint-Paul dans les années 90 est revenu sur les lieux de cette prison juste avant qu’elle ne soit démolie pour être remplacée par le campus de l’Université Catholique de Lyon. Il y a retrouvé quatre noms dont celui d’Émile Bertrand, « Tombés sous les balles nazies ». Il a retrouvé sa nièce qui lui a donné accès à des photos du résistant, qui avait en fait arrêté et guillotiné par la police et un bourreau français. Ernest Pignon-Ernest explique sa démarche :

Les prisons de Lyon ne sont pas des prisons ordinaires, Barbie y a sévi, Max Barel y est mort ébouillanté, Jean Moulin, Raymond Aubrac… de nombreux résistants y ont été emprisonnés, torturés. […]  j’ai tenté d’y réinscrire par l’image le souvenir de certains, célèbres ou inconnus, qui y ont été incarcérés.

 

prisonsPrisons St Joseph, St Paul de Lyon — Photo Roland Paccard

Roland Paccard a lui fait des photos de ces prisons durant 30 ans. De nuit dans les années 90. Puis à la demande des Archives Municipales de Lyon à leur fermeture.

Une exposition à n’absolument pas rater.


Galerie Anne-Marie et Roland Pallade — 35, rue Burdeau 69001 Lyon — du 10 décembre 2015 au 23 janvier 2016

Le site web de la galerie : Galerie Anne-Marie et Roland Pallade, Lyon